Vie de saint MartinWauchier de Denain

Edited by Ariane Pinche.

Ariane Pinche creative commons CC BY-NC-SA 3.0 FR 2015-2018 jns.915.jns1856.ciham-fro1

Sources

  • Manuscript A :
    Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 00412.

    Oeuvres hagiographiques de Wauchier de Denain. Date of origin: 1285.
    Notice tiré de la base Jonas, Anne-Françoise Leurquin et Marie-Laure Savoye, notice de "PARIS, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, fr. 00412" dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/45533). Consultation du 03/07/2015

Martin (saint) 316 397 Saint Martin de Tours est né dans en Hongrie dans la colonie romaine de Sabaria en 316. Il est mort à Candes en France le 8 novembre 397. Jésus Christ 0 30 Jésus-Christ est le nom donné par l'ensemble des chrétiens au prophète qu'ils considèrent comme le Messie Les chrétiens reconnaissent Jésus-Christ comme le Messie et le Fils unique de Dieu. Julien 331 363 Flavius Claudius Julianus, nommé Julien l’Apostat par la tradition chrétienne. Il doit son surnom à sa volonté de rétablir le polythéisme dans l’Empire romain. Hilaire 315 367 Hilaire de Poitiers, évêque de Poitiers, écrivain latin chrétien. Théologien du IVe siècle, il fut un grand défenseur de l'orthodoxie nicéenne face à l'arianisme. Saint Martin le rejoignit en 356 et devint alors son élève. Arius 256 336 Arius, prêtre d'Alexandrie, est le fondateur de l'une des plus importantes hérésies christologiques, l'arianisme. Il sera excommunié et déclaré hérésiarque en 325 lors du concile de Nicée. Lupicin Personnage de la Vie de saint Martin, homme important de la ville de Poitiers. Rurtius Personnage de la Vie de saint Martin, homme important de la ville de Tours. Thedrades Personnage de la Vie de saint Martin, consul de la cité de Trèves. Arborius Magnus Arborius, élu comte des largesses sacrées en 379, puis préfet de Rome en 380, il aurait été l’un des protecteurs de saint Martin, voir Sulpice Sévère, Vie de saint Martin. Tome II, éd. Jacques Fontaine, Paris Éd du Cerf, 1968, p.874. Paulin 353 431 Paulin de Nole, né à Bordeaux vers 353, mort à Nole en 431, est un poète et un ecclésiastique latin contemporain de saint Augustin et de Martin de Tours, qui l'encouragea dans sa vocation religieuse. Il a été évêque de Nole de 409 à sa mort. Maximin 173 8 août 384 Magnus Clemens Maximusest un officier romain qui à la tête des légions de Bretagne renversa en 383 l'empereur Gratien, et régna sur l'Occident jusqu'en 388, où il fut vaincu et tué par les troupes de Théodose. Valentinien 371 15 mai 392 Valentinien II, fils de Valentinien Ier, est empereur romain de 375 à 392. Severus 363 420 Sulpice Sévère, avocat aquitain, il devint prêtre et s'attacha à saint Martin. Il est l'auteur d'une Chronique universelle (403), de la Vita Martini (397) et des Dialogues (404) Severin Saint Séverin de Cologne, évêque de cologne au à la fin du IVe siècle. Clarus Personnage de la Vie de saint Martin, Clarus a très probablement existé. Paulin de Nole fait allusion à lui dans trois poèmes (epist. 2, 5, epist. 32, 6). Il est possible qu’il ait été pour Martin une sorte de maître des novices, voir Sulpice Sévère, Vie de saint Martin. Tome III, éd. Jacques Fontaine, Paris Les Ed du Cerf, 1969, p.994. Anatolius Personnage de la Vie de saint Martin, Anatolius est un nom que portent souvent les esclaves orientaux. Elye Personnage biblique, il est considéré comme un prophète majeur des religions abrahamiques. Rufus Personnage de la Vie de saint Martin, évêque d'Espagne qui crut en un faux prophète. Jean (Baptiste) Personnage biblique, Jean le Baptiste fut prédicateur en Judée avant Jésus de Nazareth. Abraham Personnage biblique, Abraham est le personnage fondateur des religions juives, chrétienne et musulmane. Gratien IIIe siècle 301 Premier évêque de Tours. IVe siècle 371 Lidoire Lidoire (en latin Litorius) fut ordonné second évêque de Tours en 338, il est le prédecesseur de saint Martin. 340 397 Ambrose Saint Ambroise, évêque de Milan, est père et docteur de l'Église latine. Il est le maître à penser de saint Martin. Michel Personnage biblique, Michel est un archange et un saint chrétien, saint patron du catholicisme. Il est principalement représenté en chevalier ailé qui terrasse le Diable. Marie Personnage biblique, la vierge Marie est la mère de Dieu. Ve siècle 490 Perpetuus sixième évêque de Tours Jupiter Dieu romain Mercurius Dieu romain Venus Déesse romaine Minerve Déesse romaine France Pannonie Rome 41.8919300 12.5113300 Amiens Poitiers 46.5833300 0.3333300 Milan 46.5833300 0.3333300 Lombardie Tours 47.3833300 0.6833300 Loire Calitone Ville inconnue Paris 48.8534100 2.3488000 Aquilée Espagne Orient Vangione Candes Poitou Touraine Vienne 48.2084900 16.3720800 Cologne 50.9333300 6.9500000 Saint-Pierre-de-Cologne 50.9333300 6.9500000 Sabarie 47.2308800 16.6215500 Szombathely, ville de Hongrie, ancienne colonie romaine du nom de Sabaria où saint Martin serait né en 316 et où Septime Sévère fut proclamé empereur. Cette place militaire essentielle fut converti très tôt au christianisme. Mongiu Col du Grand-Saint-Bernard dans les Alpes.

Old French

[Chapter 1. Section 1]

[ f. 103 ] De seint Martin   mout doit on doucement et volentiers le bien oïr et entendre, car par le bien savoir et retenir  puet l'en sovent a bien venir. Qui bien ne seit ne bien n'entent  de bien faire n'a nul talent. Mes del bien nest sovent li biens,  del mal li maus si com dist l'Escriture. Por ce se doit l'en au bien avoier et  le bien feire, si com li seint home firent ça en arriere de cui nos trovons les oevres et  les vies escriptures(35)La leçon n'a pas de sens, à corriger par escriptes (vérifier dans les autres témoins). Et bien sacent  tuit cil qi vivent qe ja n'auront tant de bien fet en totes lor vies qe qant la mort dont nule rien n'eschape les poindera au cuer q'il ne cuident petit avoir fait. Dex !  Qe feront dont cil qui riche sont  et aise de l'avoir de cest siecle, ne en eus n'ont douçor ne humilité ne misericorde, ainz sont plein d'angoisse et  de traïsson et de felonie et de si grant avarice qe com plus ont richesces et avoirs,  plus en desirrent a avoir ? Ce fet li deables qi en tel maniere les a laciez et pris q'il les enmeine en infer le grant chemin plenier. De ce se gardent li seint home qi par dolereuses peinnes et par griez tormenz et par veilles et par geunes et par toutes bones oevres firent tant q'il vindrent a vie parmenable et a la corone de gloire. A ce regarderent li seint confessors et mes sires seinz Martins dont ci comence la vie.

[Chapter 2. Section 1]

Seinz Martins fu nez de la contree de Pannone, d'un chastiel qi Ysabbarie avoit non.  Si fu de haute lignie et de par mere et de par pere.  Ses peres fu chevaliers et hauz hom et riches. Et il comença tres s'enfance bones oevres a feire et a ensivre, car tres ce q'il n'avoit qe x anz, comença il a aler a seinte glisse maugré son pere et sa mere qi paien estoient. Et qant il vint en l'aage de xii anz, il covoita molt a mener vie solitaire et a aler en hermitage et si eüst il fait, mes la jovenece de l'aage l'en detint et  retraist de ce q'il avoit soventes foies en sa pensee. Et ne por qant en sa jovenece fu il si ententis entor seinte yglisse q'il i porpensa en s'enfance ce q'il aempli mout docement qant il vint en  [ f. 103 ] plus grant aage. Et adonc vint li bans de par les empereors qe li viel home qi les  enfanz avoient chevaliers les feïssent. Adonc avoit seinz Martins xv anz, si s'en ala a la court por estre chevaliers et ensamble o soi un serjant qi le servoit tant seulement. Et lors fu il adoubez et chevaliers  iii anz devant ce q'il fust baptiziés. Et la demora il a la court grant piece, si douz et si debonaires et si humles a totes genz q'il n'avoit en lui vice ne malvestié ne nule folie. En lui avoit amors envers ses compaignons et douçour et pitié  et benigneté et charité et pacience et bone volenté  et humilité si grant q'ele trespassoit tote l'umanité  de cest monde, et si ert il si douz et si pius et de bone atemprance si q'il resembloit mielz home de religion qe chevaliers par la grant simplece c'on en lui veoit et par ce avoit il si ses conpaignons trestoz  veincuz q'il tuit l'oneroient molt volentiers  et  portoient signorie et reverence.  Et adonc encore n'ert il mie rengenerez  de la seinte eve de baptesme et si feisoit il ne por qant les oevres qi del baptesme devoient nestre. C'est cil qi confortoit cels qi por l'amor nostre Seignor soffroient travail et paine. Et si aidoit les povres et  les chetis, et norrissoit les besoigneus et revestoit les nuz. Einsi aemplissoit il les oevres de misericorde devant ce q'il eüst  reçeü baptesme. Et si ne gardoit de ses sols ne de ses gages q'il avoit a court si come  chevaliers, fors tant solement com il en avoit mestier le jor a vivre,  et l'autre departoit et donoit tout as povres et a cels qi en avoient mestier et besoigneus estoient, et bien retenoit ja et  aemplissoit les paroles de l'Evangile q'il avoit oïes,  car il ne pensoit mie de lendemein si come mout de genz font ores.

[Chapter 3. Section 1]

Aprés ce q'il fu chevaliers devenus,  s'en vint il ensamble un prevost l'empereor en France tant q'il vint a la cité  d'Amiens. La sejorna li prevoz et li chevalier ne sai combien,  tant qu'il  avint q'il chevauchierent un jor par la cité  par molt grant froidure. Qant il parvindrent a la porte, il troverent un povre home nuz et besoigneuz qi lor conmença a proier et a rover q'il lor(36)La leçon est fautive, il faut comprendre li feïssent bien por Deu, mes trestuit le trespasserent qe nul bien ne li firent. Qant ce vit seinz Martins qui venoit derrieres, qe tuit cil qi devant lui passoient  n'avoient fait au povre home nul bien ne misericorde, il se pensa qe nostre Sires li avoit gardé, por ce q'il li feïst bien et donast aucune chose, mes il n'avoit ne or ne argent, n'autre rien q'il li peüst doner, qe son mantel q'il avoit afublé et la froidure estoit granz a desmesure, car totes les autres choses avoit donees as povres et departies. Lors prist li seinz chevaliers l'espee q'il avoit chainte, si en  trencha son mantel par mi, si en dona l'une moitié au povre et l'autre partie rafubla et mist entor soi. Dont le conmencierent a escharnir cil qi environ lui estoient, por ce qe l'afubleüre ert laide de ce q'ele estoit trenchie et li pluiseur qi preudome erent se pleinstrent et gemirent dedenz lor cuers de ce qe onqes n'avoient si grant bien fait, com il li avoient veü faire, ne n'avoient onqes povres revestuz,  qe bien peüssent avoir fait sanz eus desnuer.

[Chapter 3. Section 2]

Quant ce vint la nuit et il furent couchié,  li beneoiz chevaliers seinz Martins  vit Jhesu Crist si tost com il se fu endormiz, qi vestuz estoit et affublez del mantel q'il avoit doné au povre home.  Si li conmanda nostre  Sires q'il regardast et coneüst la vesteüre q'il li avoit donee. Aprés oï qe nostre Sires Jesu Criz disoit a haute voiz a la grant plenté des angeles qi environ lui estoient : Martins qi encore n'est baptisiez m'a covert de ceste vesteüre. Et la ou nostre Sires dist q'il estoit vestuz par le povre qi la vesteüre avoit receüe, li sovint il de la parole de l'Evangile q'Il avoit devant dite :  Ce qe vos feïstes a [ f. 104 ] un de mes petis povres,  le feïstes vous a moi meïsmes. (40)Mat.25, 40.  Et por confermer le tesmoing de si bone oevre, se deigna Il demoustrer a seint Martin en cele forme et en cel abit en coi li povres eüst receüe la vesteüre. Qant  seinz Martins le vit en tel maniere, ses cuers ne fu mie eslevez en humeine gloire, ainz counut par les oevres q'il avoit fetes la bonté et la douçor nostre Signor  et por ce se fist il baptizier en l'aage de xviii anz et si ne deguerpi mie tantost com il fu baptiziez sa chevalerie, ainz fu ensamble le prevost en cui compaignie il estoit  venuz ne ne voloit renoncier au siecle, jusq'a tant q'il eüst deguerpi cele seignorie. 

[Chapter 4. Section 1]

Einsint atendi seinz Martins pres de ii anz aprés ce q'il fu baptiziés  et fu chevaliers seulement par non sanz autre oevre de chevalerie fere. Endementieres vindrent estranges genz en la contree de France por la terre destruire. Dont assambla Juliens li empereres de  Rome ses genz en une cité qi Vangione estoit apelee. Si conmença a douner et a departir souz et livroisons as chevaliers et si les fist semondre tout partout la ou il estoient, si com il estoit costume,  tant qe seinz Martins i fu semons a venir a cele assemblee. Adonc vit li seinz hom qe li tenz estoit venuz covegnables de lessier et de deguerpir l'oevre de la terriene chevalerie. Ne li sembloit mie qe reson fust ne droiture de  prendre souz ne despenses, puis qe deservir  ne les voloit. Lors se trest li seinz hom a l'empereor et si li dist : Je t'ai servi tresc'a ore par ma chevalerie. Or sueffre qe je soie chevaliers nostre Signeur Deu et qe je le serve, et cil qi se voelent combatre  prengent tes souz et tes dons. Je sui des chevaliers nostre Signor, si ne me loist mie combatre. Qant li empereres oï ceste parole, il fremi touz de corroz et d'ire. Si dist a seint Martin q'il deguerpissoit la chevalerie por  la poor de la batalle qi estoit a venir a lendemein et non mie por la grace de religion. Dont dist molt hardiement seinz  Martins a l'empereror : Se l'on dist qe ce  soit por paor  qe je la chevalerie deguerpisse et non mie por foi qe je aie envers nostre Signor, je serai demein devant  et tote ma compaignie, desarmez sanz  escu et sanz heaume,  et el non nostre Seigneur Jesu Crist serai je segniez del signe de la croiz.  Si sachiez qe je trespercerai et trespasserai les batailles de mes enemis seürement, la ou eles serront plus espesses assemblees. 

[Chapter 4. Section 2]

Li empereres, qant il oï ce, si conmanda c'on le meïst em prison, por ce q'il feïst ce q'il avoit dit. Qant vint a lendemein, li enemi l'empereor envoierent a lui messages del pais et si misent eus et totes lor choses en sa francise. Et qi est cil qi doute qe ce ne fust par la volenté nostre Signor qi ne voloit mie qe li seinz hom  alast desarmez en la bataille ? Et encore soit plus nostre Sires puissanz de garder  son chevalier entre les espees et les armes de ses anemis, il vout qe la pes fust ensi faite. De la se departi seinz Martins qant il ot deguerpi sa chevalerie. Si s'en ala a  Poitiersseint Ylaire qi adonc estoit evesqes de la cité et qi mout estoit preudom et de seinte vie. La vint il et si demora ensamble o lui grant piece et seinz Ylaires l'ordena a acolite. Aprés ce li vint en avision une nuit qe il alast en son païs  veoir son pere et sa mere qi encore estoient paien et si les amonestast de foi et de religion. Donc prist congié  a seint Ylaire qui mout a envis li dona. Et en la fin qant il vit q'il entresait s'en iroit,  li proia molt docement q'il repairast erranment et sanz demorance.

Modern Translation

[Chapter 1. Section 1]

On doit assurément écouter avec calme et de bon gré le bon exemple de saint Martin, car si on connaît et si on a bien en tête de bons exemples, souvent cela mène sur la voie du bien. Celui qui ne sait ce qu’est le bien et qui n’y tend pas naturellement n’a aucun désir de le faire. Mais du bien naît souvent les bienfaits, du mal les malheurs, comme le disent les saintes Écritures. C’est pourquoi on doit être porté à faire le bien comme les saints hommes le firent auparavant, ceux dont nous trouvons les œuvres et les vies écrites. Que tous les êtres vivants sachent bien que jamais ils n’auront fait assez de bien dans leur vie entière pour que, quand la mort à laquelle rien n’échappe les saisira au cœur, ils ne pensent avoir peu fait. Dieu ! Que feront donc ceux qui sont puissants et jouissent des biens de ce monde, mais qui n’ont en eux ni douceur, ni humilité, ni miséricorde, car ils sont pleins d’âpreté, de trahison, de félonie et font preuve d’une si grande avarice que plus ils ont de richesses et de biens, plus ils désirent en avoir ? Voici ce que fait le diable qui les a attachés et emprisonnés de la sorte pour les emmener en enfer par un grand et vaste chemin. De cela, les saints hommes se gardent, eux qui par de douloureuses peines, de pénibles tourments, des veilles, des jeûnes et par toutes leurs bonnes œuvres firent tant qu’ils parvinrent à la vie éternelle et à la couronne de gloire. Voilà ce à quoi aspirent les saints confesseurs et monseigneur saint Martin dont la vie commence ici.

[Chapter 2. Section 1]

saint Martin était né dans la contrée de Pannonie au sein d’un domaine qu’on appelait Sabarie(37)Szombathely, ville de Hongrie, ancienne colonie romaine du nom de Sabaria où saint Martin serait né en 316 et où Septime Sévère fut proclamé empereur. Cette place militaire essentielle fut convertie très tôt au christianisme.. Il était issu d’une haute lignée à la fois du côté de sa mère et de son père. Son père était un chevalier, un homme important et riche. Il commença dès sa petite enfance à s’employer aux bonnes œuvres. En effet, alors qu’il n’avait que dix ans, il commença à se rendre à la sainte église bien que son père et sa mère soient païens. Quand il atteignit l’âge de douze ans(38)La précocité de la vocation est un motif topique de l’hagiographie. Le chiffre douze est le symbole de la perfection aussi bien dans la tradition païenne que dans la tradition chrétienne. C’est à cet âge que Jésus quitte ses parents pour s’entretenir pour la première fois avec les docteurs du Temple., il désira vivement mener une vie solitaire et rejoindre un ermitage, et il l’aurait fait, si son jeune âge ne l’avait retenu et détourné de ce projet qu’il avait souvent en tête. Néanmoins, pendant sa jeunesse, il se montra si zélé envers la sainte Église que, ce qu’il avait envisagé durant son enfance, il l’accomplit petit à petit quand il arriva à un âge plus avancé. C’est alors qu’un décret des empereurs arriva ordonnant aux vieillards qui avaient des enfants de les faire chevaliers. saint Martin avait alors quinze ans et s’en alla à la cour afin de devenir chevalier avec un unique serviteur pour le servir. Il y fut alors adoubé et resta chevalier trois ans avant d’être baptisé. Il demeura ainsi à la cour un long moment. Il était tellement doux, bienveillant et humble envers tout le monde qu’il n’y avait en lui aucun vice, aucune méchanceté, et aucune passion. Il regorgeait d’amour envers ses compagnons, de douceur, de compassion, de bienveillance, de charité, de patience, de bonne volonté et d’une si grande humilité(39)Parmi les qualités attribuées à saint Martin, on retrouve les quatre vertus de la vie cénobitique : benignitas, caritas, patentia, humilitas. qu’elle dépassait toute l’humanité de ce monde. Il était si doux, si pieux, et d’une si grande tempérance qu’il ressemblait davantage à un religieux qu’à un chevalier en raison de la grande simplicité qu’on voyait en lui. C’est ainsi qu’il l’avait aussitôt emporté sur ses compagnons qui tous l’honoraient bien volontiers, le traitaient avec distinction et respect, alors qu’il n’avait pas encore été régénéré par la sainte eau du baptême, bien qu’il accomplît les œuvres qui doivent naître du baptême. Il était celui qui réconfortait ceux qui, pour l’amour de notre Seigneur, souffraient peines et travaux. Il aidait aussi les pauvres et les faibles, nourrissait les nécessiteux et revêtait ceux qui étaient nus. Ainsi il accomplissait les œuvres de miséricorde avant d’avoir reçu le baptême. Il ne gardait rien de son argent ni des gages qu’il recevait à la cour en tant que chevalier si ce n’est ce dont il avait besoin pour vivre au jour le jour. Le reste, il le distribuait et le donnait intégralement aux pauvres, à ceux qui en avaient besoin et qui étaient nécessiteux. Ainsi, se rappelait-il et accomplissait-il déjà les paroles de l’Évangile qu’il avait entendues, car il ne pensait pas au lendemain comme bien des gens le font aujourd’hui.

[Chapter 3. Section 1]

Après être devenu chevalier, il partit avec un prévô(40)Aucun prévôt n’est présent dans le texte de Sulpice Sévère.t de l’empereur de France jusqu’à la cité d’Amiens. Le prévôt et le chevalier y séjournèrent, je ne sais combien de temps, jusqu’au jour où il advint qu’ils traversèrent à cheval(41) Le verbe chevauchier suggère le fait que saint Martin se déplace à cheval, cette nuance n’est pas présente dans le texte latin obvium habet. La présence du cheval est déjà très répandue dans l’imaginaire médiéval, comme en témoigne la représentation de saint Martin de la cathédrale de la ville de Lucques construite au IXe siècle, voir R. Lecotté, "Le thème de la charité de saint Martin dans l’art populaire", dans Art de France, Strasbourg, 1960. la cité par un grand froid. Quand ils arrivèrent à la porte de la ville, ils trouvèrent un pauvre homme nu et nécessiteux qui commença à prier et à réclamer qu’on lui prodigue des bienfaits au nom de Dieu, mais tous le dépassèrent sans lui apporter aucun secours. Quand saint Martin, qui arrivait après, s’aperçut que tous ceux qui étaient passés devant lui n’étaient aucunement venus en aide au pauvre homme et n’avaient manifesté aucune pitié, il s’imagina que notre Seigneur le lui avait gardé pour qu’il lui vînt en aide et lui donnât quelque chose, mais il n’avait ni or ni argent, rien d’autre à donner que le manteau(42)Les termes latins utilisés par Sulpice Sévère sont militiae uestem ou chlamydem qui désignent le manteau fixé à l’épaule droite par une fibule de l’uniforme des soldats romains. qu’il avait revêtu — et le froid était vif au-delà de toute mesure — parce qu’il avait donné et partagé toutes ses autres affaires avec les pauvres. Le saint chevalier prit alors l’épée qui était ceinte à son côté et trancha son manteau par le milieu, puis en donna une moitié au pauvre, revêtit l’autre partie et la mit sur lui. À ce moment, ceux qui étaient autour de lui commencèrent à se moquer de lui parce que son vêtement était laid du fait qu’il était tranché, mais ceux qui étaient des hommes de bien regrettèrent et déplorèrent dans leur cœur de n’avoir jamais aussi bien agi qu’ils l’avaient vu faire, et de n’avoir jamais revêtu les pauvres alors qu’ils auraient bien pu le faire sans se démunir.

[Chapter 3. Section 2]

À la nuit venue, et quand ils furent couchés, le bienheureux chevalier saint Martin vit Jésus-Christ dès qu’il se fut endormi. Ce dernier était revêtu du manteau qu’il avait donné au pauvre homme. Alors notre Seigneur lui demanda de reconnaître le vêtement qu’il lui avait donné. Puis il entendit que notre seigneur Jésus-Christ disait à haute voix à la grande assemblée des anges qui l’environnaient : Martin qui n’est pas encore baptisé m’a recouvert de ce vêtement. Quand notre Seigneur dit qu’il était vêtu grâce au pauvre qui avait reçu le vêtement, il se souvint de la parole de l’Évangile qu’Il avait dite auparavant : Ce que vous avez fait pour l’un de mes pauvres, vous le l’avez fait pour moi-même. (43)Mt., 25, 40 – urn:cts:greekLit:tlg0031.tlg001.perseus-lat1:25.40 Pour rendre plus authentique le témoignage d’une si bonne œuvre, Il accepta de se montrer à saint Martin sous l’apparence que le pauvre avait au moment où il avait reçu le vêtement. Quand saint Martin le vit ainsi, son cœur fut élevé vers une gloire qui n’était point humaine. Il connut alors grâce à ces bonnes œuvres la bonté et de la douceur de notre Seigneur. C’est pourquoi il se fit baptiser à l’âge de dix-huit ans, mais il ne se détourna point aussitôt qu’il fut baptisé de sa vie de chevalier, mais il resta auprès du prévôt avec qui il était venu et ne voulut pas renoncer au siècle jusqu’à ce qu’il se eût renoncé à cet honneur seigneurial.

[Chapter 4. Section 1]

Ainsi, saint Martin attendit près de deux ans après son baptême et ne fut chevalier que de nom, sans en commettre les actes. Pendant ce temps, des étrangers arrivèrent en France pour la ravager. Julien(44)Flabius Claudius Julianus (331-363), nommé Julien l’Apostat par la tradition chrétienne. Il doit son surnom à sa volonté de rétablir le polythéisme dans l’Empire romain., l’empereur de Rome, réunit alors ses gens dans une cité appelée Vangione(45)Ville de Worms situé en Rhénanie en Allemagne. et commença à donner et à distribuer gages et provisions à ses chevaliers. Ainsi, il les fit se rassembler dans tous les lieux où ils se trouvaient, comme c’était la coutume, si bien que saint Martin fut convié à ce rassemblement. C’est alors que le saint homme vit que le temps était venu de délaisser et de se détourner des œuvres terriennes de la chevalerie. Il ne lui semblait ni raisonnable ni juste de recevoir de l’argent et des provisions, puisqu’il ne voulait pas les mériter. Il se rendit alors auprès de l’empereur et lui dit : Je t’ai servi par mes qualités de chevalier jusqu’à aujourd’hui, mais accepte que je sois chevalier de notre Seigneur Dieu et que je le serve. Que ceux qui veulent combattre prennent ton argent et tes présents. Quant à moi, je fais partie des chevaliers de notre Seigneur, il ne m’est donc point permis de combattre.  Quand l’empereur entendit ces paroles, tout son corps frémit de courroux et de colère. Il répondit à saint Martin qu’il abandonnait la chevalerie par peur de la bataille du lendemain, et non pas par la grâce de la religion. saint Martin dit alors avec ardeur à l’empereur :  Si l’on dit que c’est par peur que j’abandonne la chevalerie, et non pas en raison de la foi que j’ai envers notre Seigneur, je serai demain devant avec toute ma compagnie, désarmé, sans écu et sans heaume. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, je serai signé du signe de la croix. Sachez alors que je transpercerai et traverserai les bataillons de mes ennemis en sécurité, là où ils seront assemblés en plus grand nombre.

[Chapter 4. Section 2]

L’empereur, après l’avoir entendu, ordonna qu’on le mît en prison afin qu’il fît ce qu’il avait dit. Le lendemain, les ennemis de l’empereur lui envoyèrent des messagers pour conclure la paix qui remirent leur personne et leurs biens en son pouvoir. Qui pourrait douter que cela n’arrivât par la volonté de notre Seigneur qui ne voulait pas que le saint homme se rendît désarmé sur le champ de bataille ? Bien que notre Seigneur aurait davantage fait preuve de puissance en protégeant son chevalier des épées et des armes de ses ennemis, Il voulut que la paix fût ainsi faite. saint Martin s’en alla de là après avoir renoncé à ses devoirs de chevalier(46)La démission de saint Martin aurait eu lieu en 356 d’après Jacques Fontaine.. Puis, il se rendit à Poitiers auprès de saint Hilaire(47)Saint Hilaire, évêque de Poitiers, écrivain latin chrétien. Théologien du IVe siècle, il fut un grand défenseur de l'orthodoxie nicéenne face à l’arianisme. saint Martin le rejoignit en 356 et devint alors son élève. qui était alors évêque de la cité. C’était un très saint homme qui menait une vie pieuse. Il se rendit en cet endroit et y demeura à ses côtés un long moment. Saint Hilaire le nomma acolyte. Quelque temps plus tard, une nuit, il eut une vision afin qu’il rentrât en son pays voir son père et sa mère qui étaient encore païens et qu’il les convertît à la foi et à la religion. Il prit alors congé de saint Hilaire qui le lui accorda bien à contrecœur. Quand finalement ce dernier comprit qu’il s’en irait tout de même, il le pria avec beaucoup de douceur de revenir au plus tôt et sans délai.

Latin source

[Chapter 2. Section 1]

Igitur Martinus Sabaria Pannoniarum oppido oriundus fuit, sed intra Italiam Ticini altus est, parentibus secundum saeculi dignitatem non infimis, gentilibus tamen. pater eius miles primum, post tribunus militum fuit. ipse armatam militiam m adulescentia secutus inter scolares alas sub rege Constantio, deinde sub Iuliano Caesare militauit: non tamen sponte, quia a primis fere annis diuinam potius seruitutem sacra inlustris pueri spirauit infantia. nam cum esset annorum decem, inuitis parentibus ad ecclesiam confugit seque catechumenum fieri postulauit. mox mirum in modum totus in Dei opere conuersus, cum esset annorum duodecim, eremum concupiuit, fecissetque uotis satis, si aetatis infirmitas non obstitisset. animus tamen aut circa monasteria aut circa ecclesiam semper intentus meditabatur adhuc in aetate puerili, quod postea deuotus inpleuit. sed cum edictum esset a regibus, ut ueteranorum filii ad militiam scriberentur prodente patre, qui felicibus eius actibus inuidebat, cum esset annorum quindecim, captus et catenatus sacramentis militaribus inplicatus est, uno tantum seruo comite contentus, cui tamen uersa uice dominus seruiebat, adeo ut plerumque ei et calciamenta ipse detraheret et ipse detergeret, cibum una caperent, hic tamen saepius ministraret. triennium fere ante baptismum in armis fuit, integer tamen ab iis uitiis, quibus illud hominum genus inplicari solet. multa illius circa commilitones benignitas, mira caritas, patientia uero adque humilitas ultra humanum modum. nam frugalitatem in eo laudari non est necesse, qua ita usus est, ut iam illo tempore non miles, sed monachus putaretur. pro quibus rebus ita sibi omnes commilitones deuinxerat, ut eum miro adfectu uenerarentur. necdum tamen regeneratus in Christo agebat quendam bonis operibus baptismi candidatum: adsistere scilicet laborantibus, opem ferre miseris, alere egentes, uestire nudos, nihil sibi ex militiae stipendiis praeter cotidianum uictum reseruare: iam tum euangelii non surdus auditor de crastino non cogitabat.

[Chapter 3. Section 1]

Quodam itaque tempore, cum iam nihil praeter arma et simplicem militiae uestem haberet, media hieme, quae solito asperior inhorruerat, adeo ut plerosque uis algoris extingueret, obuium habet in porta Ambianensium ciuitatis pauperem nudum: qui cum praetereuntes ut sui misererentur oraret omnesque miserum praeterirent, intellexit uir Deo plenus sibi illum, aliis misericordiam non praestantibus, reseruari. quid tamen ageret? nihil praeter chlamydem, qua indutus erat, habebat: iam enim reliqua in opus simile consumpserat. arrepto itaque ferro, quo accinctus erat, mediam diuidit partemque eius pauperi tribuit, reliqua rursus induitur. interea de circumstantibus ridere nonnulli, quia deformis esse truncatus habitu uideretur: multi tamen, quibus erat mens sanior, altius gemere, quod nihil simile fecissent, cum utique plus habentes uestire pauperem sine sua nuditate potuissent.

[Chapter 3. Section 2]

Nocte igitur insecuta, cum se sopori dedisset, uidit Christum chlamydis suae, qua pauperem texerat, parte uestitum. intueri diligentissime Dominum uestemque, quam dederat, iubetur agnoscere. mox ad angelorum circumstantium multitudinem audit Iesum clara uoce dicentem: Martinus adhuc catechumenus hac me ueste contexit. uere memor Dominus dictorum suorum, qui ante praedixerat: quamdiu fecistis uni ex minimis istis, mihi fecistis, se in paupere professus est fuisse uestitum: et ad confirmandum tam boni operis testimonium in eodem se habitu, quem pauper acceperat, est dignatus ostendere. 1 quo uiso uir beatissimus non in gloriam est elatus humanam, sed bonitatem Dei in suo opere cognoscens, cum esset annorum duodeuiginti, ad baptismum conuolauit.

[Chapter 4. Section 1]

Nec tamen statim militiae renuntiauit, tribuni sui precibus euictus, cui contubernium familiare praestabat: etenim transacto tribunatus sui tempore renuntiaturum se saeculo pollicebatur. qua Martinus expectatione suspensus per biennium fere posteaquam est baptismum consecutus, solo licet nomine, militauit. Interea inruentibus intra Gallias barbaris Iulianus Caesar coacto in unum exercitu apud Vangionum ciuitatem donatiuum coepit erogare militibus, et, ut est consuetudinis, singuli citabantur, donec ad Martinum uentum est. tum uero oportunum tempus existimans, quo peteret missionem — neque enim integrum sibi fore arbitrabatur, si donatiuum non militaturus acciperet —, hactenus, inquit ad Caesarem, militaui tibi: patere ut nunc militem Deo: donatiuum tuum pugnaturus accipiat, Christi ego miles sum: pugnare mihi non licet. tum uero aduersus hanc uocem tyrannus infremuit dicens, eum metu pugnae, quae postero die erat futura, non religionis gratia detractare militiam. at Martinus intrepidus, immo inlato sibi terrore constantior, si hoc, inquit, ignauiae adscribitur, non fidei, crastina die ante aciem inermis adstabo et in nomine Domini Iesu, signo crucis, non clipeo protectus aut galea, hostium cuneos penetrabo securus. retrudi ergo in custodiam iubetur, facturus fidem dictis, ut inermis barbaris obiceretur.

[Chapter 4. Section 2]

Postero die hostes legatos de pace miserunt, sua omnia seque dedentes. unde quis dubitet hanc uere beati uiri fuisse uictoriam, cui praestitum sit, ne inermis ad proelium mitteretur. et quamuis pius Dominus seruare militem suum licet inter hostium gladios et tela potuisset, tamen ne uel aliorum mortibus sancti uiolarentur obtutus, exemit pugnae necessitatem. neque enim aliam pro milite suo Christus debuit praestare uictoriam, quam ut subactis sine sanguine hostibus nemo moreretur. Exinde relicta militia sanctum Hilarium Pictauae episcopum ciuitatis, cuius tunc in Dei rebus spectata et cognita fides habebatur, expetiit et aliquamdiu apud eum commoratus est. temptauit autem idem Hilarius inposito diaconatus officio sibi eum artius inplicare et ministerio uincire diuino. sed cum saepissime restitisset, indignum se esse uociferans, intellexit uir altioris ingenii, uno eum modo posse constringi, si id ei officii imponeret, in quo quidam locus iniuriae uideretur: itaque exorcistam eum esse praecepit. quam ille ordinationem, ne despexisse tamquam humiliorem uideretur, non repudiauit. nec multo post admonitus per soporem, ut patriam parentesque, quos adhuc gentilitas detinebat, religiosa sollicitudine uisitaret, ex uoluntate sancti Hilari profectus est, multis ab eo obstrictus precibus et lacrimis ut rediret.