Edited by Ariane Pinche.
Manuscript A :
Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 00412.
Oeuvres hagiographiques de Wauchier de Denain. Date of origin: 1285.
Notice tiré de la base Jonas, Anne-Françoise Leurquin et
Marie-Laure Savoye, notice de "PARIS, Bibliothèque nationale de
France, Manuscrits, fr. 00412" dans la base Jonas-IRHT/CNRS
(permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/45533).
Consultation du 03/07/2015
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f. 103
]
De seint Martin
mout doit on doucement
et volentiers le bien oïr et entendre, car par le
bien savoir et retenir
puet l'en sovent a bien venir. Qui bien ne seit ne bien
n'entent de bien faire n'a nul talent. Mes del bien nest sovent
li biens, del mal li maus si com dist l'Escriture. Por ce se
doit l'en au bien avoier et le bien feire, si com li seint home
firent ça en arriere de cui nos trovons les oevres et les
vies escriptures(35)La leçon n'a pas de sens, à
corriger par escriptes (vérifier dans les autres témoins). Et
bien sacent tuit cil qi vivent qe ja n'auront tant de bien
fet en totes lor vies qe qant la mort dont nule rien n'eschape les
poindera au cuer q'il ne cuident petit avoir fait. Dex ! Qe
feront dont cil qui riche sont et aise de l'avoir de cest
siecle, ne en eus n'ont douçor ne
humilité ne misericorde, ainz sont plein d'angoisse et de traïsson
et de felonie et de si grant avarice qe com plus ont richesces
et avoirs, plus en desirrent a avoir ? Ce fet li deables qi en tel
maniere les a laciez et pris q'il les enmeine en infer
le grant chemin plenier. De ce se gardent li seint home qi par
dolereuses peinnes et par griez tormenz et par veilles
et par geunes et par toutes bones oevres firent tant
q'il vindrent a vie parmenable et a la corone de gloire. A ce
regarderent li seint confessors et mes sires seinz Martins dont ci
comence la vie.
Seinz Martins fu nez de
la contree de Pannone, d'un chastiel qi Ysabbarie avoit non. Si fu de haute lignie et de par
mere et de par pere. Ses peres fu chevaliers et hauz hom
et riches. Et il comença tres s'enfance bones oevres a feire
et a ensivre, car tres ce q'il n'avoit qe
Aprés ce q'il fu chevaliers
devenus, s'en vint il ensamble un prevost l'empereor
en France tant q'il vint a la cité d'Amiens. La
sejorna li prevoz et li chevalier ne sai combien, tant qu'il
avint q'il chevauchierent un jor par la cité par molt
grant froidure. Qant il parvindrent a la porte, il troverent un
povre home nuz et besoigneuz qi lor conmença a proier et a
rover q'il lor(36)La leçon est fautive, il faut
comprendre li feïssent bien por Deu, mes trestuit le
trespasserent qe nul bien ne li firent. Qant ce vit seinz Martins
qui venoit derrieres, qe tuit cil qi devant lui passoient
n'avoient fait au povre home nul bien ne misericorde, il se
pensa qe nostre Sires li avoit gardé, por ce q'il li feïst
bien et donast aucune chose, mes il n'avoit ne or ne
argent, n'autre rien q'il li peüst doner, qe son mantel q'il avoit
afublé et la froidure estoit granz a desmesure, car totes les
autres choses avoit donees as povres et departies. Lors prist li
seinz chevaliers l'espee q'il avoit chainte, si en trencha
son mantel par mi, si en dona l'une moitié au povre et l'autre
partie rafubla et mist entor soi. Dont le conmencierent
a escharnir cil qi environ lui estoient, por ce qe
l'afubleüre ert laide de ce q'ele estoit trenchie et li pluiseur qi
preudome erent se pleinstrent et gemirent dedenz lor cuers de
ce qe onqes n'avoient si grant bien fait, com il li avoient veü
faire, ne n'avoient onqes povres revestuz, qe bien peüssent
avoir fait sanz eus desnuer.
Quant ce vint la nuit et il
furent couchié, li beneoiz chevaliers
seinz Martins vit
Jhesu Crist si tost com il se fu endormiz, qi vestuz
estoit et affublez del mantel q'il avoit doné au povre home.
Si li conmanda nostre Sires q'il regardast et coneüst la
vesteüre q'il li avoit donee. Aprés oï qe nostre Sires
Jesu Criz disoit
a haute voiz a la grant plenté des angeles qi environ lui
estoient : Ce qe vos feïstes a
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f. 104
]
un de mes petis povres, le feïstes vous a
moi meïsmes.
(40)Mat.25, 40.
Einsint atendi seinz Martins pres de
Li empereres, qant il oï ce, si
conmanda c'on le meïst em prison, por ce q'il feïst ce q'il
avoit dit. Qant vint a lendemein, li enemi l'empereor
envoierent a lui messages del pais et si misent eus et totes
lor choses en sa francise. Et qi est cil qi doute qe ce ne fust par
la volenté nostre Signor qi ne voloit mie qe li seinz hom
alast desarmez en la bataille ? Et encore soit plus nostre Sires
puissanz de garder son chevalier entre les espees et les
armes de ses anemis, il vout qe la pes fust ensi faite. De la
se departi seinz
Martins qant il ot deguerpi sa chevalerie. Si s'en
ala a
Poitiers a seint Ylaire qi adonc estoit evesqes de la
cité et qi mout estoit preudom et de seinte vie. La vint il et si
demora ensamble o lui grant piece et seinz Ylaires l'ordena
a acolite. Aprés ce li vint en avision une nuit qe il alast en son
païs veoir son pere et sa mere qi encore estoient paien et si
les amonestast de foi et de religion. Donc prist congié
a seint Ylaire
qui mout a envis li dona. Et en la fin qant il vit q'il
entresait s'en iroit, li proia molt docement q'il repairast
erranment et sanz demorance.
On doit assurément écouter avec calme et de bon gré le bon exemple de saint Martin, car si on connaît et si on a bien en tête de bons exemples, souvent cela mène sur la voie du bien. Celui qui ne sait ce qu’est le bien et qui n’y tend pas naturellement n’a aucun désir de le faire. Mais du bien naît souvent les bienfaits, du mal les malheurs, comme le disent les saintes Écritures. C’est pourquoi on doit être porté à faire le bien comme les saints hommes le firent auparavant, ceux dont nous trouvons les œuvres et les vies écrites. Que tous les êtres vivants sachent bien que jamais ils n’auront fait assez de bien dans leur vie entière pour que, quand la mort à laquelle rien n’échappe les saisira au cœur, ils ne pensent avoir peu fait. Dieu ! Que feront donc ceux qui sont puissants et jouissent des biens de ce monde, mais qui n’ont en eux ni douceur, ni humilité, ni miséricorde, car ils sont pleins d’âpreté, de trahison, de félonie et font preuve d’une si grande avarice que plus ils ont de richesses et de biens, plus ils désirent en avoir ? Voici ce que fait le diable qui les a attachés et emprisonnés de la sorte pour les emmener en enfer par un grand et vaste chemin. De cela, les saints hommes se gardent, eux qui par de douloureuses peines, de pénibles tourments, des veilles, des jeûnes et par toutes leurs bonnes œuvres firent tant qu’ils parvinrent à la vie éternelle et à la couronne de gloire. Voilà ce à quoi aspirent les saints confesseurs et monseigneur saint Martin dont la vie commence ici.
saint Martin était né dans la contrée
de Pannonie au sein d’un domaine
qu’on appelait Sabarie(37)Szombathely, ville de Hongrie, ancienne
colonie romaine du nom de Sabaria où saint
Martin serait né en 316 et où Septime Sévère fut
proclamé empereur. Cette place militaire essentielle fut convertie
très tôt au christianisme.. Il était issu d’une haute lignée
à la fois du côté de sa mère et de son père. Son père était un
chevalier, un homme important et riche. Il commença dès sa petite
enfance à s’employer aux bonnes œuvres. En effet, alors qu’il n’avait
que dix ans, il commença à se rendre à la sainte église bien que son
père et sa mère soient païens. Quand il atteignit l’âge de douze
ans(38)La précocité de la vocation est un motif topique de
l’hagiographie. Le chiffre douze est le symbole de la perfection
aussi bien dans la tradition païenne que dans la tradition
chrétienne. C’est à cet âge que Jésus quitte ses parents pour
s’entretenir pour la première fois avec les docteurs du
Temple., il désira vivement mener une vie solitaire et
rejoindre un ermitage, et il l’aurait fait, si son jeune âge ne l’avait
retenu et détourné de ce projet qu’il avait souvent en tête. Néanmoins,
pendant sa jeunesse, il se montra si zélé envers la sainte Église que,
ce qu’il avait envisagé durant son enfance, il l’accomplit petit à petit
quand il arriva à un âge plus avancé. C’est alors qu’un décret des
empereurs arriva ordonnant aux vieillards qui avaient des enfants de les
faire chevaliers. saint Martin avait
alors quinze ans et s’en alla à la cour afin de devenir chevalier avec
un unique serviteur pour le servir. Il y fut alors adoubé et resta
chevalier trois ans avant d’être baptisé. Il demeura ainsi à la cour un
long moment. Il était tellement doux, bienveillant et humble envers tout
le monde qu’il n’y avait en lui aucun vice, aucune méchanceté, et aucune
passion. Il regorgeait d’amour envers ses compagnons, de douceur, de
compassion, de bienveillance, de charité, de patience, de bonne volonté
et d’une si grande humilité(39)Parmi les qualités attribuées à
saint Martin, on retrouve les
quatre vertus de la vie cénobitique : benignitas,
caritas, patentia, humilitas. qu’elle dépassait
toute l’humanité de ce monde. Il était si doux, si pieux, et d’une si
grande tempérance qu’il ressemblait davantage à un religieux qu’à un
chevalier en raison de la grande simplicité qu’on voyait en lui. C’est
ainsi qu’il l’avait aussitôt emporté sur ses compagnons qui tous
l’honoraient bien volontiers, le traitaient avec distinction et respect,
alors qu’il n’avait pas encore été régénéré par la sainte eau du
baptême, bien qu’il accomplît les œuvres qui doivent naître du baptême.
Il était celui qui réconfortait ceux qui, pour l’amour de notre
Seigneur, souffraient peines et travaux. Il aidait aussi les pauvres et
les faibles, nourrissait les nécessiteux et revêtait ceux qui étaient
nus. Ainsi il accomplissait les œuvres de miséricorde avant d’avoir reçu
le baptême. Il ne gardait rien de son argent ni des gages qu’il recevait
à la cour en tant que chevalier si ce n’est ce dont il avait besoin pour
vivre au jour le jour. Le reste, il le distribuait et le donnait
intégralement aux pauvres, à ceux qui en avaient besoin et qui étaient
nécessiteux. Ainsi, se rappelait-il et accomplissait-il déjà les paroles
de l’Évangile qu’il avait entendues, car il ne pensait pas au lendemain
comme bien des gens le font aujourd’hui.
Après être devenu chevalier, il partit avec un prévô(40)Aucun prévôt
n’est présent dans le texte de Sulpice Sévère.t de l’empereur
de France jusqu’à la cité
d’Amiens. Le prévôt et le
chevalier y séjournèrent, je ne sais combien de temps, jusqu’au jour où
il advint qu’ils traversèrent à cheval(41) Le verbe chevauchier
suggère le fait que saint Martin
se déplace à cheval, cette nuance n’est pas présente dans le texte
latin obvium habet. La présence du cheval est
déjà très répandue dans l’imaginaire médiéval, comme en témoigne la
représentation de saint Martin de
la cathédrale de la ville de Lucques construite au IXe siècle, voir
R. Lecotté, "Le thème de la charité de saint
Martin dans l’art populaire", dans Art de France, Strasbourg, 1960. la cité par un
grand froid. Quand ils arrivèrent à la porte de la ville, ils trouvèrent
un pauvre homme nu et nécessiteux qui commença à prier et à réclamer
qu’on lui prodigue des bienfaits au nom de Dieu, mais tous le
dépassèrent sans lui apporter aucun secours. Quand saint Martin, qui arrivait après, s’aperçut
que tous ceux qui étaient passés devant lui n’étaient aucunement venus
en aide au pauvre homme et n’avaient manifesté aucune pitié, il
s’imagina que notre Seigneur le lui avait gardé pour qu’il lui vînt en
aide et lui donnât quelque chose, mais il n’avait ni or ni argent, rien
d’autre à donner que le manteau(42)Les termes latins utilisés par
Sulpice Sévère sont militiae uestem ou chlamydem qui désignent le
manteau fixé à l’épaule droite par une fibule de l’uniforme des
soldats romains. qu’il avait revêtu — et le froid était vif
au-delà de toute mesure — parce qu’il avait donné et partagé toutes ses
autres affaires avec les pauvres. Le saint chevalier prit alors l’épée
qui était ceinte à son côté et trancha son manteau par le milieu, puis
en donna une moitié au pauvre, revêtit l’autre partie et la mit sur lui.
À ce moment, ceux qui étaient autour de lui commencèrent à se moquer de
lui parce que son vêtement était laid du fait qu’il était tranché, mais
ceux qui étaient des hommes de bien regrettèrent et déplorèrent dans
leur cœur de n’avoir jamais aussi bien agi qu’ils l’avaient vu faire, et
de n’avoir jamais revêtu les pauvres alors qu’ils auraient bien pu le
faire sans se démunir.
À la nuit venue, et quand ils furent couchés, le bienheureux chevalier
saint Martin vit Jésus-Christ dès qu’il se fut endormi. Ce
dernier était revêtu du manteau qu’il avait donné au pauvre homme. Alors
notre Seigneur lui demanda de reconnaître le vêtement qu’il lui avait
donné. Puis il entendit que notre seigneur
Jésus-Christ disait à haute voix à la grande assemblée
des anges qui l’environnaient :
Ainsi, saint Martin attendit près de
deux ans après son baptême et ne fut chevalier que de nom, sans en
commettre les actes. Pendant ce temps, des étrangers arrivèrent en
France pour la ravager. Julien(44)Flabius Claudius Julianus (331-363), nommé
Julien l’Apostat par la tradition chrétienne. Il doit son surnom à
sa volonté de rétablir le polythéisme dans l’Empire romain.,
l’empereur de Rome, réunit alors ses
gens dans une cité appelée Vangione(45)Ville de Worms situé en Rhénanie en
Allemagne. et commença à donner et à distribuer gages et
provisions à ses chevaliers. Ainsi, il les fit se rassembler dans tous
les lieux où ils se trouvaient, comme c’était la coutume, si bien que
saint Martin fut convié à ce
rassemblement. C’est alors que le saint homme vit que le temps était
venu de délaisser et de se détourner des œuvres terriennes de la
chevalerie. Il ne lui semblait ni raisonnable ni juste de recevoir de
l’argent et des provisions, puisqu’il ne voulait pas les mériter. Il se
rendit alors auprès de l’empereur et lui dit :
L’empereur, après l’avoir entendu, ordonna qu’on le mît en prison afin qu’il fît ce qu’il avait dit. Le lendemain, les ennemis de l’empereur lui envoyèrent des messagers pour conclure la paix qui remirent leur personne et leurs biens en son pouvoir. Qui pourrait douter que cela n’arrivât par la volonté de notre Seigneur qui ne voulait pas que le saint homme se rendît désarmé sur le champ de bataille ? Bien que notre Seigneur aurait davantage fait preuve de puissance en protégeant son chevalier des épées et des armes de ses ennemis, Il voulut que la paix fût ainsi faite. saint Martin s’en alla de là après avoir renoncé à ses devoirs de chevalier(46)La démission de saint Martin aurait eu lieu en 356 d’après Jacques Fontaine.. Puis, il se rendit à Poitiers auprès de saint Hilaire(47)Saint Hilaire, évêque de Poitiers, écrivain latin chrétien. Théologien du IVe siècle, il fut un grand défenseur de l'orthodoxie nicéenne face à l’arianisme. saint Martin le rejoignit en 356 et devint alors son élève. qui était alors évêque de la cité. C’était un très saint homme qui menait une vie pieuse. Il se rendit en cet endroit et y demeura à ses côtés un long moment. Saint Hilaire le nomma acolyte. Quelque temps plus tard, une nuit, il eut une vision afin qu’il rentrât en son pays voir son père et sa mère qui étaient encore païens et qu’il les convertît à la foi et à la religion. Il prit alors congé de saint Hilaire qui le lui accorda bien à contrecœur. Quand finalement ce dernier comprit qu’il s’en irait tout de même, il le pria avec beaucoup de douceur de revenir au plus tôt et sans délai.
Igitur Martinus Sabaria Pannoniarum oppido oriundus fuit, sed intra Italiam Ticini altus est, parentibus secundum saeculi dignitatem non infimis, gentilibus tamen. pater eius miles primum, post tribunus militum fuit. ipse armatam militiam m adulescentia secutus inter scolares alas sub rege Constantio, deinde sub Iuliano Caesare militauit: non tamen sponte, quia a primis fere annis diuinam potius seruitutem sacra inlustris pueri spirauit infantia. nam cum esset annorum decem, inuitis parentibus ad ecclesiam confugit seque catechumenum fieri postulauit. mox mirum in modum totus in Dei opere conuersus, cum esset annorum duodecim, eremum concupiuit, fecissetque uotis satis, si aetatis infirmitas non obstitisset. animus tamen aut circa monasteria aut circa ecclesiam semper intentus meditabatur adhuc in aetate puerili, quod postea deuotus inpleuit. sed cum edictum esset a regibus, ut ueteranorum filii ad militiam scriberentur prodente patre, qui felicibus eius actibus inuidebat, cum esset annorum quindecim, captus et catenatus sacramentis militaribus inplicatus est, uno tantum seruo comite contentus, cui tamen uersa uice dominus seruiebat, adeo ut plerumque ei et calciamenta ipse detraheret et ipse detergeret, cibum una caperent, hic tamen saepius ministraret. triennium fere ante baptismum in armis fuit, integer tamen ab iis uitiis, quibus illud hominum genus inplicari solet. multa illius circa commilitones benignitas, mira caritas, patientia uero adque humilitas ultra humanum modum. nam frugalitatem in eo laudari non est necesse, qua ita usus est, ut iam illo tempore non miles, sed monachus putaretur. pro quibus rebus ita sibi omnes commilitones deuinxerat, ut eum miro adfectu uenerarentur. necdum tamen regeneratus in Christo agebat quendam bonis operibus baptismi candidatum: adsistere scilicet laborantibus, opem ferre miseris, alere egentes, uestire nudos, nihil sibi ex militiae stipendiis praeter cotidianum uictum reseruare: iam tum euangelii non surdus auditor de crastino non cogitabat.
Quodam itaque tempore, cum iam nihil praeter arma et simplicem militiae uestem haberet, media hieme, quae solito asperior inhorruerat, adeo ut plerosque uis algoris extingueret, obuium habet in porta Ambianensium ciuitatis pauperem nudum: qui cum praetereuntes ut sui misererentur oraret omnesque miserum praeterirent, intellexit uir Deo plenus sibi illum, aliis misericordiam non praestantibus, reseruari. quid tamen ageret? nihil praeter chlamydem, qua indutus erat, habebat: iam enim reliqua in opus simile consumpserat. arrepto itaque ferro, quo accinctus erat, mediam diuidit partemque eius pauperi tribuit, reliqua rursus induitur. interea de circumstantibus ridere nonnulli, quia deformis esse truncatus habitu uideretur: multi tamen, quibus erat mens sanior, altius gemere, quod nihil simile fecissent, cum utique plus habentes uestire pauperem sine sua nuditate potuissent.
Nocte igitur insecuta, cum se sopori dedisset, uidit Christum chlamydis suae, qua pauperem texerat, parte uestitum. intueri diligentissime Dominum uestemque, quam dederat, iubetur agnoscere. mox ad angelorum circumstantium multitudinem audit Iesum clara uoce dicentem: Martinus adhuc catechumenus hac me ueste contexit. uere memor Dominus dictorum suorum, qui ante praedixerat: quamdiu fecistis uni ex minimis istis, mihi fecistis, se in paupere professus est fuisse uestitum: et ad confirmandum tam boni operis testimonium in eodem se habitu, quem pauper acceperat, est dignatus ostendere. 1 quo uiso uir beatissimus non in gloriam est elatus humanam, sed bonitatem Dei in suo opere cognoscens, cum esset annorum duodeuiginti, ad baptismum conuolauit.
Nec tamen statim militiae renuntiauit, tribuni sui precibus euictus, cui contubernium familiare praestabat: etenim transacto tribunatus sui tempore renuntiaturum se saeculo pollicebatur. qua Martinus expectatione suspensus per biennium fere posteaquam est baptismum consecutus, solo licet nomine, militauit. Interea inruentibus intra Gallias barbaris Iulianus Caesar coacto in unum exercitu apud Vangionum ciuitatem donatiuum coepit erogare militibus, et, ut est consuetudinis, singuli citabantur, donec ad Martinum uentum est. tum uero oportunum tempus existimans, quo peteret missionem — neque enim integrum sibi fore arbitrabatur, si donatiuum non militaturus acciperet —, hactenus, inquit ad Caesarem, militaui tibi: patere ut nunc militem Deo: donatiuum tuum pugnaturus accipiat, Christi ego miles sum: pugnare mihi non licet. tum uero aduersus hanc uocem tyrannus infremuit dicens, eum metu pugnae, quae postero die erat futura, non religionis gratia detractare militiam. at Martinus intrepidus, immo inlato sibi terrore constantior, si hoc, inquit, ignauiae adscribitur, non fidei, crastina die ante aciem inermis adstabo et in nomine Domini Iesu, signo crucis, non clipeo protectus aut galea, hostium cuneos penetrabo securus. retrudi ergo in custodiam iubetur, facturus fidem dictis, ut inermis barbaris obiceretur.
Postero die hostes legatos de pace miserunt, sua omnia seque dedentes. unde quis dubitet hanc uere beati uiri fuisse uictoriam, cui praestitum sit, ne inermis ad proelium mitteretur. et quamuis pius Dominus seruare militem suum licet inter hostium gladios et tela potuisset, tamen ne uel aliorum mortibus sancti uiolarentur obtutus, exemit pugnae necessitatem. neque enim aliam pro milite suo Christus debuit praestare uictoriam, quam ut subactis sine sanguine hostibus nemo moreretur. Exinde relicta militia sanctum Hilarium Pictauae episcopum ciuitatis, cuius tunc in Dei rebus spectata et cognita fides habebatur, expetiit et aliquamdiu apud eum commoratus est. temptauit autem idem Hilarius inposito diaconatus officio sibi eum artius inplicare et ministerio uincire diuino. sed cum saepissime restitisset, indignum se esse uociferans, intellexit uir altioris ingenii, uno eum modo posse constringi, si id ei officii imponeret, in quo quidam locus iniuriae uideretur: itaque exorcistam eum esse praecepit. quam ille ordinationem, ne despexisse tamquam humiliorem uideretur, non repudiauit. nec multo post admonitus per soporem, ut patriam parentesque, quos adhuc gentilitas detinebat, religiosa sollicitudine uisitaret, ex uoluntate sancti Hilari profectus est, multis ab eo obstrictus precibus et lacrimis ut rediret.